Comment évaluer une offre d’association dans un cabinet d’avocats ?


Par Laurent MARLIèRE, Scipion
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Laurent MARLIèRE Scipion
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Comment évaluer une offre d’association dans un cabinet d’avocats ?

Les collaborateurs qui se voient proposer un statut d’associé dans leur cabinet ou les avocats associés, qui changent de structure, rencontrent un grand défi. Celui de l’évaluation du projet d’association. Au-delà du plaisir de pouvoir s’asseoir à la table des associés et avoir voix au chapitre pour tout ce qui touche au fonctionnement du cabinet, c’est bien l’accès au double statut d’actionnaire et de co-chef d’entreprise auquel ils accèdent.

Nous passons en revue certains éléments qui leur permettront de mieux évaluer leur avenir.

Actionnaire et gérant

Les cabinets d’avocats épousent de plus en plus la forme d’une entreprise via un contrat de société. Le contrat de société est en fait un contrat de propriété. Chaque société étant différente, l’offre d’association peut donc varier largement d’une structure à l’autre.

Il importe d’examiner soigneusement ce que signifie le fait de devenir « co-propriétaire » du cabinet. On ne peut recommander au candidat associé que de se faire conseiller par un confrère indépendant spécialisé en droit des sociétés voire s’il ou elle est elle-même spécialiste des questions en droit des sociétés, de traiter son propre cas comme celui de son meilleur client.

Nous n’évoquerons pas ici les avantages et inconvénients des différentes formes juridiques à disposition des avocats. Ils ont été abordés de manière exhaustive dans de précédents numéros de « Maître » Toutefois, nous abordons les grandes tendances relevées selon les catégories d’associés.

Les catégories d’associés et le capital

Dans bon nombre de cabinets, il existe deux catégories d’associés : ceux et celles qui participent au capital (equity partners) et ceux et celles qui n’y participent pas (non equity partners).

Les associés à pleine participation peuvent voter et participer au partage des bénéfices. Les associés non participants n’ont en général pas le droit de voter (quoiqu’ils puissent assister aux réunions d’associés) et ils ne peuvent prendre part au partage des bénéfices. Les associés non participants sont en outre exemptés de contribuer au capital du cabinet.

Le statut d’associé non participant peut être compris comme une période d’essai ou un intervalle temporaire, avant que les associés participants au capital ne lui le statut d’associé à part entière. Certains cabinets, notamment des structures familiales mais pas exclusivement, ont formalisé les deux catégories d’associés et l’accès au capital est exclu pour les « non equities ».

Le principal inconvénient lié au statut d’associé salarié non participant est que, du point de vue de l’extérieur, vous êtes censé posséder la qualité d’associé. Dans une société en nom collectif, vous risquez donc d’être tenu responsable des dettes et obligations du cabinet. Ainsi, malgré le statut d’associé, il existe un risque et certains « non equities » négocient avec une pleine indemnisation par les associés ayant le droit de participer aux bénéfices pour toute dette contractée par les associés ou le cabinet. Le contrat de société stipulera en général les conditions auxquelles les associés seront tenus responsables d’indemniser les autres associés ou la société pour les dettes contractées.

La prise de décision

Les contrats de société ne stipulent pas toujours les règles et les majorité nécessaires au processus décisionnel. Dans les faits, cet oubli volontaire ou involontaire peut porter à conséquence sur le développement du cabinet et faire naître un blocage dans l’organisation.

La culture d’organisation du cabinet joue ici un rôle.

Quantité de petits et moyens cabinets opèrent sur base d’une gestion courante par l’ensemble des associés du cabinet. La réunion d’association (généralement mensuelle) est l’élément de gestion.

Dans les cabinets plus importants, les décisions relatives au fonctionnement quotidien du cabinet peuvent être déléguées à un associé gérant (managing partner), un comité de gestion ou même au conseil d’administration. Cependant, le vote des associés reste obligatoire en cas de modifications importantes et de décisions majeures : fusion avec une autre structure, changement de dénomination, liquidation ou modification de la forme juridique de la société, investissements conséquents, évolution des clés de rémunération, acceptation de nouveaux associés,...

En règle générale, la gestion du quotidien requièrent des décisions prises à la majorité simple. Par contre, les changements et questions de fond exigent souvent le vote majoritaire des associés, soit aux deux tiers ou aux trois quarts voire unanimement dans certaines structures. Soulignons que tous les votes n’ont pas systématiquement une valeur égale. Dans les cabinets où les associés reçoivent des points ou des parts de la société, un système de votes pondérés peut être appliqué et tenir compte du nombre de parts ou de points détenu par l’associé. Les associés ne sont pas tous égaux.

Lorsqu’un associé gérant ou un comité de gestion est en charge de la gestion quotidienne, il importe de conférer un mandat écrit à ceux-ci afin de spécifier les responsabilités.

La rémunération des associés

a. Les systèmes de rémunération

Il existe différents types de systèmes de rémunération, notamment :

  • Un partage égal des bénéfices entre tous les associés

  • Un régime de rémunération par échelons (Lock-Step)– tous les associés ayant atteint un certain niveau d’ancienneté sont reconnus et rémunérés également

  • Un système où « vous gagnez ce que vous ramenez» (eat what you kill) fondé exclusivement sur les facturations et les rentrées de fonds

  • Une formule fondée sur les facturations et l’ancienneté

  • Un système fondé sur le mérite et calculé selon le rendement facturable et non facturable

  • Toute combinaison des régimes susmentionnés

Dans la rémunération, il importe d’examiner la manière dont :

(1) les activités non facturables sont reconnues et rétribuées. En effet, les structures performantes rétribuent les activités bénéficiant à l’intérêt collectif du cabinet : gestion globale, supervision ou gestion des ressources humaines, des finances, de l’informatique, des stagiaires, des évaluations, du marketing et de la communication, de la bibliothèque, des bâtiments,…

(2) la reconnaissance attribuée à l’avocat ou aux avocats fondateurs du cabinet.

(3) L’apport initial de clientèle

(4) L’apport de dossiers traités par d’autres avocats du cabinet

De plus en plus l’on constate que la rémunération des associés se détermine selon un tableau de bord qui équilibre différentes données : heures prestées, connaissances/compétences, facturations/rentrées d’argent et rendement non facturable (tel que le recrutement de clients et de clientes, la tenue de séminaires de perfectionnement professionnel et les contributions apportées au cabinet ou à l’équipe de direction). Cette collaboration active peut être récompensée par l’attribution d’un certain nombre de points ou de parts de la société et un nombre accru de points se traduira en retour par des revenus supérieurs.

On peut ainsi opter pour un régime de rémunération combiné en garantissant en partie une rémunération fixe tout en maintenant la possibilité d’allouer des primes ou des bonus en cas de rendement supérieur. Le cabinet a tout intérêt à prévoir dispositions du contrat relatives à la rémunération qui sont suffisamment flexibles que pour permettre des bonus ou gratifications exceptionnels. Une marge de manœuvre permet des ajustements au cas où la formule ne colle pas à la réalité ou déséquilibre les événements spécifiques à une année exceptionnelle pour les associés.

b. Les critères de rendement

Dans les cabinets anglo-saxons, il est de coutume de proposer au candidat associé des exigences de rendement. Bien que le contrat de société couvre en général les obligations générales des associés, il est rare que celui-ci énonce les critères de rendement.

Certains cabinets disposent d’un programme de développement professionnel pour chaque associé, qui a reçu l’assentiment de l’associé en question et du comité de direction ou de rémunération. La rémunération de chaque associé est ensuite pondérée en fonction des objectifs fixés par le programme de développement professionnel.

c. Le processus de décision sur la rémunération

Il existe différents processus décisionnels permettant d’allouer la rémunération aux associés.

Nous distinguons :

          1. Le principe de la « démocratie directe »

Tous les associés votent chaque année la rémunération allouée à chaque associé. Ce système suscite énormément de tension au sein de la structure. C’est quelque part la « théorie du chaos » appliquée à la gestion d’un cabinet. Le compromis, la menace et la mauvaise humeur sont des outils de gestion dans le cadre de cette pratique.

          2. Le principe de la « démocratie indirecte »

L’assemblée générale des associés confie à un comité de rémunération un pouvoir absolu sur la fixation de la rémunération.

          3. Le principe de l’ « automaticité »

Des tableaux de bord réglés et légitimés préalablement (généralement en début d’année) assurent une totale transparence (chacun connaît la rémunération de l’autre) et rend la rémunération automatique selon les clés de répartition définie.

A noter que certains cabinets préfèrent ne pas publier de tableaux décrivant la rémunération des associés. Chaque associé connaît exclusivement sa rémunération et ignore celles de ses collègues.

Le calendrier des rémunérations

La planification financière et budgétaire du cabinet devrait être intégrée dans le calendrier de rétribution des avocats. Certains cabinets vont jusqu’à intégrer la date ou le moment de la rémunération dans le contrat de société. Toutefois, il s’avère souvent utile d’avoir une flexibilité afin de couvrir les aléas des liquidités ou de la fiscalité qui évoluent avec le temps.

La plupart des cabinets d’affaires disposent des ressources suffisantes (comme les marges de crédit bancaires) pour rétribuer les associés mensuellement, peu importe si le travail en cours (WIP Work in process) ait déjà été ou pas transformé en liquidité.

Les rémunérations sont alors en général calculées sur un intervalle de 65 à 85% des bénéfices nets prévus, tandis que le solde des bénéfices nets est payé après la préparation des états financiers annuels.

Cependant, certains cabinets ont une situation de liquidité (cash-flow) plus faible (cela est souvent lié à une taille moindre en effectif, mais pas exclusivement) et la fréquence ou les montants des paiements aux associés varient en fonction des mouvements de trésorerie. Dans une entreprise traditionnelle, l’on pourrait dire que ces cabinets sont sous-capitalisés.

Devenir associé comporte de nombreux avantages, mais passer du statut de collaborateur à celui d’associé n’est pas un impératif catégorique. Toute association est spécifique à la structure du cabinet dans lequel vous travaillez. Votre rémunération dépendra de la prospérité du cabinet. Ainsi, certains collaborateurs gagnent davantage en ne devenant pas associé. C’est ce qui explique en partie pourquoi le statut d’ « avocat salarié » a un tel succès en France. Néanmoins, la décision de changer de statut dans votre cabinet ou de vous associer avec d’autres nécessitent une préparation et une information préalable efficace.