Techniques de retournement d’entreprises en difficultés


Par Jean-François PANSARD, PANSARD et ASSOCIES
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Jean-François PANSARD PANSARD et ASSOCIES
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Techniques de retournement d’entreprises en difficultés

Comme nous l’abordons brièvement dans cet article, les difficultés des entreprises ne sont pas une fatalité mais nécessitent une identification des causes suffisamment tôt afin d’avoir le temps et la trésorerie nécessaire pour opérer un traitement. Aussi, nous abordons ici deux types problèmes économiques fréquemment rencontrés dans les entreprises en difficultés.

1. Introduction

Lorsque l’on évoque le terme de méthodes de retournement, la plupart des professionnels ayant une expérience dans ce domaine ont le sentiment que l'on va rappeler une série de banalités qui n'ont qu'un lointain rapport avec la réalité qu'ils rencontrent quotidiennement.

Ceci provient probablement du fait que chaque entreprise est un cas unique, que l'impact de son environnement est très variable et qu'il est difficile de définir des règles générales qui pourraient avoir une portée universelle.

Contrairement à la médecine qui a fini au fil du temps par regrouper les symptômes en syndromes puis a défini pour chaque syndrome une prescription thérapeutique, le management, qui est une science sociale donc largement fondée sur des aspects humains et qui ne dispose que de moins de deux siècles d'expérience, n'a pas encore structuré les phases de diagnostic et de traitement.

Le management de crise est donc encore largement perçu comme une technique empirique. Il est souvent concentré sur les aspects de gestion de la trésorerie qui ne sont généralement qu'une conséquence et non pas une cause des problèmes. Il est indéniable que cette technique est nécessaire lorsque l'entreprise est parvenue à un stade de dégradation qui rend sa survie aléatoire. Mais chacun sait bien que l'on ne peut traiter durablement les conséquences d'un problème sans remédier à ses causes.

L'identification des causes et leur traitement est donc l'élément prioritaire.

Nous pensons que ces causes peuvent se rattacher à deux familles principales tout en sachant qu'une entreprise est parfaitement susceptible de cumuler ces deux problématiques.

2. Les zones de pertes masquées

La première famille pourrait être définie comme la famille des zones de pertes masquées. Chacun sait qu'une entreprise même globalement bénéficiaire comprend des zones d'activité qui génèrent des pertes. Il peut s'agir selon les cas de clients, de produits, de points de vente, de régions dans lesquelles les coûts engagés par l'activité sont supérieurs aux recettes que celles-ci procurent. Lorsque l'entreprise est globalement rentable, il existe peu de pression pour identifier et éliminer ces zones de pertes. Contrairement à la théorie économique classique, l'être humain ne recherche en effet pas l'optimisation mais simplement un niveau satisfaisant pour la majorité des acteurs économiques.

L'évolution historique des entreprises est donc à peu près toujours la même. Partant d'un produit de départ qui était le concept initial de l'entreprise vendu à un segment de clientèle bien défini, l'entreprise s'est accrue par un élargissement de sa gamme vendue sur des marchés de plus en plus diversifiés. Les marchés et les produits deviennent donc hétérogènes et l'on rentre progressivement dans une situation de subventionnement croisé.

Comme cette évolution s'est déroulée sur de longues années son impact est généralement masqué par les fluctuations des marchés et par l'action de la concurrence. Au fil du temps, on aboutit bien souvent à une situation dans laquelle 20 % des clients réalisent effectivement 80 % des profits et de nombreux clients ou produits génèrent des pertes sans que personne n'ait une conscience claire de cette situation. Beaucoup de systèmes de contrôle de gestion tendent à dissimuler ce fait.

Ils sont en effet généralement fondés sur une répartition des charges qui repose sur une hypothèse simple mais inexacte, à savoir que les coûts sont proportionnels aux revenus. C'est cette hypothèse qui fait que bien souvent on constate que les frais généraux sont affectés comme un pourcentage du chiffre d'affaires.

Toute personne ayant vécu dans une entreprise sait que dans la réalité les frais et les revenus sont des variables qui ont chacune leur dynamique propre. Supposer ces variables corrélées reviendrait à avoir résolu une fois pour toutes le problème de la gestion des entreprises. L'équipe de retournement est donc souvent obligée de commencer son action par une analyse de rentabilité des différents segments de l'entreprise.

Lorsque le système d'information ne donne pas directement accès à ce type d'information, ce qui est le cas le plus fréquent, il est nécessaire que les analystes appliquent une technique dérivée de l'Activity Based Costing. Sans entrer dans le détail complet de cette méthode nous pouvons en rappeler les principes :

Contrairement aux méthodes traditionnelles de contrôle de gestion, la méthode ABC considère que les coûts de structure ne sont pas liés aux coûts directs (matières premières et main-d’œuvre directe) mais sont induits par les diverses activités de l'entreprise.
On entend par activité les opérations qui sont réalisées quotidiennement par chaque entreprise et qui comprennent aussi bien la prise d'une commande, le lancement d'une série en fabrication, l'expédition d'une commande et sa facturation.
On mesure donc de façon approximative le coût de chacune de ses activités, on observe le nombre de fois où elles sont exécutées au cours d'une année et on peut donc calculer le coût unitaire de chacune de ses activités.

Cette analyse part de l'observation que dans une entreprise moderne les coûts de structure représentent généralement la partie la plus importante des frais de l'entreprise. Elle part aussi d'un autre constat qui est que cette structure est d'autant plus importante que l'organisation doit gérer de la complexité et un grand nombre de petites opérations.

Pour illustrer ce principe, si l'on compare deux entreprises, réalisant le même chiffre d'affaires mais l'une avec très peu de références produits, un petit nombre de clients et des commandes très importantes, et l'autre avec une gamme très large, un grand nombre des clients commandant par petites quantités, on constatera des écarts très importants dans la structure de ces deux organisations.

Les entreprises à problème sont fréquemment celles dans lesquelles coexistent des segments de clients très diversifiés et donc consommant des ressources de façon très inégale. Le fait d'appliquer une méthode unique à des populations différentes aboutit généralement à une mauvaise compréhension des coûts avec les conséquences que l'on peut imaginer sur le système de fixation des prix.

Une fois calculé le coût de chaque activité on peut affecter à chaque client ou à chaque produit le nombre d'activités qu'ils consomment effectivement et donc mesurer les coûts induits par ce client ou ce produit. En règle générale, on constate des contrastes très significatifs entre ces répartitions de coûts et celles qui étaient calculées habituellement par l'entreprise. On voit alors apparaître clairement des zones de pertes et l'on peut affirmer que plus les contrastes entre les zones de pertes et les zones de profit sont importants meilleures sont les chances de pouvoir opérer un retournement.

On peut donc dire en simplifiant à peine qu’une entreprise en perte est simplement celle dans laquelle les zones de pertes sont devenues plus importantes que les zones de profit. L'élimination des zones de pertes ne devrait donc pas poser de problème dès lors qu'elles sont identifiées. Malheureusement l’entreprise est un système complexe. L'arrêt d'un produit déficitaire peut entraîner la perte d'un client rentable. La réduction du volume de ventes n'entraîne pas nécessairement l'allégement des structures. Les mesures positives à moyen terme peuvent avoir un effet négatif à court terme. La gestion du temps est donc un élément essentiel. Tous les praticiens du retournement savent que la situation de trésorerie est la variable qui leur permet ou non de mettre en œuvre certains types d’actions dont l'impact immédiat sur la situation financière peut être négatif alors qu'elles permettent une forte amélioration de l'exploitation à moyen terme.

3. Les zones de non productivité

La seconde famille de pathologie, qui peut coexister avec la précédente, pourrait être qualifiée un peu sommairement de non productivité. Nous allons essayer de préciser ce que nous entendons par ce terme.

Rappelons que l'entreprise opère en général sur un marché concurrentiel. Elle met en œuvre des ressources dont le coût est en première analyse semblable à celui de ses concurrents. L'efficacité de mise en œuvre de ces ressources est ce que l'on définit habituellement comme la productivité de l'entreprise. La productivité globale est donc le produit du coût et de l'efficacité.

Toute entreprise comprend trois fonctions principales :

elle doit vendre,
elle doit produire les produits ou les services qu'elle a vendus, et enfin
elle doit administrer c'est-à-dire coordonner les ressources pour réaliser les autres fonctions.

La productivité doit donc être estimée au niveau de chacune de ces trois fonctions. Pour l'apprécier il convient de la comparer à celle des principaux concurrents. Si l'entreprise souffre durablement d'un handicap de productivité par rapport à ses rivaux, il faudra que ses produits ou ses services soient fortement différenciés pour que le marché accepte de supporter ce surcoût. Au cas contraire, la théorie micro-économique nous enseigne que les opérateurs dont les coûts sont supérieurs à ceux de leurs concurrents finissent par être éliminés.

Là encore, l'histoire des entreprises est souvent très éclairante. On constate bien souvent que l'entreprise a bénéficié initialement d'une innovation qui lui permettait de résister à la concurrence malgré des coûts élevés, que cette innovation a ensuite été imitée par le marché, et que l'entreprise est aujourd'hui productrice d'une offre banalisée alors que ses coûts sont restés plus élevés que ceux des concurrents. Un autre cas fréquent est celui dans lequel l'entreprise a subi une baisse de chiffre d'affaires et n'a pas adapté ses moyens à son nouveau volume ce qui entraîne des ratios de coûts anormalement élevés.

Le praticien du retournement commence donc généralement par comparer les coûts des principales fonctions à ceux des concurrents. Si par exemple, la fonction commerciale représente 15 % du chiffre d'affaires alors que la plupart des concurrents fonctionnent avec moins de 10 %, l'entreprise pourra être considérée comme non productive et devra faire l'objet d'un traitement. Tous les professionnels expérimentés ont en tête un certain nombre de ratios clés qui leur servent de points de repères.

C'est pour cela qu'une phase habituelle du diagnostic préliminaire comprend l'analyse du coût par fonction et l’évolution de ce coût durant les quelques années précédentes. Pour être pertinente, cette analyse suppose d'avoir accès à des bases de données permettant d'identifier la structure de coûts des concurrents.

Beaucoup d'entreprises qui rencontrent des difficultés souffrent d'une définition trop restreinte du concept de productivité. En effet pour elles, ce terme s'applique uniquement aux processus de fabrication. Elles concentrent donc tous leurs efforts sur la productivité de la main-d’œuvre de production. Celle-ci représente bien souvent aujourd'hui moins de 20 % des coûts totaux de l'entreprise. Tous les processus d'entreprise doivent être examinés à ce stade.

Si l'équipe de retournement constate que certaines fonctions souffrent d'un déficit de compétitivité, elle doit alors mettre en œuvre une technique de refonte des processus. Ceci peut aboutir dans certains cas à une modification profonde du modèle économique. Cette étape est généralement longue à mettre en œuvre et ne porte des fruits que dans la durée. Là encore, la situation financière de l'entreprise est un facteur décisif.

4. Conclusion

Les difficultés des entreprises ne sont pas une fatalité. En effet, la plupart des difficultés peuvent faire l'objet d'un traitement mais le traitement doit porter sur les causes et non sur les symptômes. La gestion de la trésorerie ne fait que traiter un symptôme.

Les difficultés des entreprises sont d'abord un problème économique qui génère ensuite des problèmes financiers et juridiques.

Comme nous venons de le voir les causes appartiennent à deux grandes familles :

   - L'entreprise opère avec plusieurs modèles économiques dont certains sont devenus défaillants. Il y a là une pathologie au niveau stratégique. Elle ne peut être traitée que par la suppression des zones de pertes.
   - L'entreprise réalise parfois certaines fonctions avec une efficacité inférieure à celle de ses concurrents. Il s'agit là d'une pathologie opérationnelle. Elle ne peut être traitée que par la refonte des processus.

La complexité du traitement réside d’une part dans le fait que ces deux types de pathologies se cumulent souvent, et d’autre part dans la prise de conscience tardive par l’équipe de direction des pathologies, c'est-à-dire lorsque que les difficultés d'exploitation ont dégradé la situation financière et que l'entreprise ne dispose plus du temps nécessaire pour opérer un retournement. Il est donc essentiel que l'environnement de l'entreprise soit formé à la détection des symptômes.